samedi 1 octobre 2016

Le Falun... quoi ?



La première fois que j’ai entendu parler du Falun Gong, ce n’était (bien sûr) pas en Chine, mais à l’occasion d’un voyage en Corée du Sud. L’activisme de rue y est très développé, et après avoir signé une pétition pour les victimes du naufrage du ferry, une autre contre la déforestation au Brésil, une troisième pour l’aide aux chats errants, je me suis retrouvé devant des affiches géantes, rédigées en coréen, en chinois et en anglais, montrant des corps mutilés, des gens défigurés, sous une bannière disant en gros « Stoppez la répression du Falun Gong. »

D’après Wikipédia, le FLG est un mouvement qui appelle à renouer avec une ancienne discipline, un genre de kung-fu. « La particularité de cette méthode est de revenir à la source des enseignements du qi gong en recherchant simultanément le développement physique et spirituel. Elle vise à garder le corps en bonne santé et éveiller la conscience au maintien d'une bonne moralité. Son enseignement combine la pratique de la méditation, d'exercices aux mouvements lents et souples et le travail sur soi à travers trois principes fondamentaux : Authenticité, Bonté, Tolérance ». Bref, une pratique bien innocente, un mode de vie spirituel dans un monde de brutes gavées d’iPhones et de McDo ?


Mais lorsqu’on cherche à se renseigner un peu plus, on tombe sur des histoires à faire dresser les cheveux sur la tête. Des sites consacrés au sujet parlent de persécutions, d’emprisonnements, de tortures. Ici il est question de trafic d’organes, là, d’organes prélevés sans anesthésie sur les malheureux tenants de cette philosophie... Un certain Ethan Gutman cherche, avec toutes les précautions d’usage, à quantifier l’horreur : ce seraient entre 60 et 80 000 pacifiques pratiquants du qi gong qui auraient été ainsi mutilés ou tués par les horribles médecins des laogai (« réforme par le travail » - camps de travail, donc) de sinistre mémoire.

Bien sûr, tout cela est possible. La Chine n’est pas championne des droits de l’homme, on le sait. Les laogai  ont été officiellement abolis en 2013... mais d’aucuns considèrent qu’ils perdurent sous d’autres appellations. Et donc que d’innocents adeptes du FLG y font, aujourd’hui encore, l’objet de détentions arbitraires et de traitements horribles.

Mais pourquoi un tel acharnement, peut-on se demander, de la part d'autorités chinoises avant tout préoccupées à marcher sur des oeufs, à maintenir coûte que coûte une paix sociale toujours précaire et soucieuses d’éviter tout remous dans la société civile qu’elles surveillent comme un bocal de nytroglycérine ? Surtout contre de pacifiques adeptes d’une gymnastique aux gestes lents nés d’une pratique millénaire ? D’une mystique inoffensive faite de paix et de retour aux sources ?

Deux ou trois éléments de cette affaire paraissent surprenants. D’abord, l’obsession anti-communiste d’un mouvement qui se veut spirituel, philosophique, ancestral. Dans la petite ville balnéaire de Yantai, dans le nord de la Chine, des activistes du FLG se sont par exemple mis à imprimer des mots d’ordre sur les billets de banque pour leur assurer une diffusion maximale. Des slogans comme « le Parti est une organisation criminelle qui doit être stoppée » ou « le PCC est responsable de crimes de masse », ou encore « Jiang Zemin [ancien secrétaire du PCC] doit être jugé. » 


Par ailleurs, quid de ces prises de position plus belliqueuses que philosophiques de membres du FLG dans les nombreux sites dédiés de par le monde, comme celle-ci : « Certaines personnes qui pratiquent ce culte parlent de non-action [le principe taoïste wu-wei]. Mais, comment peuvent-ils ne rien dire quand ils les voient les gens être trompés par le Parti. Comment peuvent-ils ne pas agir quand ils sont témoins d'un assassinat ou d'un incendie criminel ?

Le Parti communiste a fait tant de mauvaises choses, que même le ciel va le détruire. Les gens qui sont membres du Parti et les personnes qui le soutiennent par ignorance sont comme des gens qui se noient. Pouvons-nous refuser de les aider? Notre conscience ne peut pas permettre cela. Notre nature morale humaine ne tolérera pas cette inaction.

C'est ce que j'ai appris et ce à quoi je me suis éveillée dans le processus d'élever mon xinxing [karma, en gros] et de clarifier les faits tout en étudiant le Fa. »

Encore un élément troublant, le fondateur du FLG, un certain Li Hongzhi, pilote le mouvement depuis les USA... On peut comprendre qu’il se mette à l’abri des persécutions, mais pourquoi justement dans un pays connu pour sa propension à organiser de par le monde des mouvements subversifs ? Pire : il a été nominé pour le prix Nobel de la paix en 2008 (rarement un bon signe : il y aurait côtoyé des gens comme Arafat, le Dalaï lama ou encore Obama) et c’est lui qui aurait organisé les manifestations contre la flamme olympique. Encore une fois, démarche plus médiatique que spirituelle.

D’après Wikipedia, le mouvement, lancé en 1992, aurait rapidement pris de l’ampleur, à tel point que, sept ans plus tard, on estimait à 70 millions le nombre de ses adeptes. C’est à ce moment-là que le PCC, dirigé par Jiang Zemin, aurait soudain renversé la vapeur et décidé de le combattre par tous les moyens. Les autorités chinoises considèrent en effet qu’il s’agit de l’un de ces mouvements « pseudo-pacifistes » noyautés et dirigés par la CIA au travers de toute une nébuleuse d’organismes et d’ONG, comme le Freedom House ou la National Endowment for Democracy, où gravitent des personnages peu recommandables tels que George Soros, Diana Negroponte ou Zbigniew Brzezinski. Lorsque je dis peu recommandables, je veux dire des gens qui se sont toujours fait les avocats d’une intervention musclée des USA dans des pays étrangers, y compris militaire, sans trop regarder le coût humain du moment qu’il n’y avait pas de victimes étasuniennes.

Cela expliquerait l’acharnement des autorités chinoises contre une secte en apparence bien inoffensive. Et, peut-être, quelques exagérations : on sait que nos amis d’outre-Atlantique ne reculent devant aucune outrance pour la bonne cause, en particulier lorsqu’il s’agit de diaboliser un régime non démocratique.
 

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